Le monde en semble ému et les éloges funèbres se multiplient, comme souvent. On entend aussi parfois que le Pape François a suscité des rejets et des incompréhensions jusqu’à l’intérieur de l’Église. Et on s’en étonne. On en oublie qu’un bon, un grand pape se reconnaît précisément à ce qu’il étonne, parce qu’il surprend nos attentes : aucun des prédécesseurs récents de François n’y a échappé. Il ne fait que remplir sa fonction, qui n’est pas de gouverner l’Église comme on dirige une institution politique. Si l’Église a traversé les siècles, comme aucune autre institution humaine, elle le doit à sa claire conscience de vivre comme et par une communion qui lui vient d’ailleurs – de l’Esprit saint, de l’union trinitaire, de Dieu même. En tout cas, l’Église ne vient pas d’elle-même. Si elle a ses pieds sur terre, elle a sa tête au ciel.
François n’a ainsi eu qu’une préoccupation, la même que ses prédécesseurs : maintenir ou remettre l’Église dans le flux et le souffle de l’Esprit saint, son origine et son seul guide, aider les baptisés à être toujours plus fidèles au Christ, leur Seigneur, tête de cette Eglise, lui seul qui a les paroles de la vie éternelle et qui est le chemin, la vérité et la vie.
Aussi face à la mort du pape, en chrétiens, il me semble que notre attitude peut être double, finalement comme face à chaque mort : rendre grâce à Dieu – source de tout bien véritable - pour le bien fait par la personne défunte, et confier celle-ci, pécheresse sans aucun doute, à la miséricorde de Dieu. Pour le Pape François comme pour chacun de nous, le salut n’est pas un dû mais un don, fruit de la miséricorde divine.
Ainsi, pour rendre grâce, de manière très subjective, personnelle et partielle, je voudrais vous témoigner ce que François m’a apporté dans mon chemin de foi, ma marche – bien laborieuse ! – vers le Seigneur, à partir de 5 notions :
1. La synodalité comme responsabilité active
J’étais sur la place St Pierre le soir de son élection et j’ai été surpris par la première demande qu’il a faite à la foule rassemblée sous le balcon de la basilique : prier pour lui et le bénir. Je vois a-posteriori dans cette espèce d’inversion ponctuelle des rôles (habituellement, c’est le Pape qui bénit les fidèles, pas l’inverse) les prémices de sa réflexion sur la synodalité, en engageant chacun à prendre toute sa place et sa responsabilité dans l’épanouissement du Royaume de Dieu, à ne pas se situer en simple consommateur ou bénéficiaire passif de la grâce divine mais en collaborateur actif de l’œuvre de Dieu.
2. Ecologie et fraternité
Comme moraliste, je retiens deux éléments lumineux :
L’aboutissement d’une pensée pontificale sur la Création et l’écologie longuement maturée par ses deux prédécesseurs et heureusement éclose dans la magnifique et prophétique encyclique Laudato Si’.
Un travail remarquable sur la notion de « fraternité », dont l’un des fruits est Fratelli tutti. Je ne crois pas qu’il y ait là une pensée très novatrice ; au contraire, l’idée de « fraternité » est classique dans la théologie catholique, au point, peut-être, qu’elle en était devenue un peu poussiéreuse… Or, en développant une pensée systémique qui fait de cette notion le fondement central de toute vie sociale, politique et économique1, il me semble que François lui a redonné des lettres de noblesse particulièrement pertinentes dans l’actualité de notre monde.
3. « Hôpital de campagne »
Je trouve très stimulante l’ecclésiologie qu’il a déployée dans une interview à la Civiltà catolica, dans laquelle il décrit l’Eglise comme « un hôpital de campagne après la bataille »2. Je vois dans cette approche – qui ne renie rien à d’autres comme l’Eglise sacrement ou mystère, l’Eglise corps mystique du Christ ou même l’Eglise société parfaite – un bon moyen d’aborder avec des outils renouvelés l’évangélisation et la sanctification des fidèles aux parcours de vie moins linéaires. Même si l’on peut sans doute regretter que François n’en soit resté ici qu’à une ébauche encore un peu brouillonne, je suis certain qu’il y a une intuition de laquelle pourront sortir beaucoup de bons fruits à l’avenir.
4. Miséricorde et espérance
Ces notions théologiques sont là aussi assez classiques mais François nous a aidé à mieux les intégrer en les liant à celle de jubilé, c’est-à-dire de retour vers le Seigneur. Je garde un souvenir lumineux de l’Année de la Miséricorde, même si je regrette que cette année n’ait pas tellement renouvelé la fréquentation du confessionnal. Le thème de l’espérance – que Benoît XVI avait déjà bien travaillé dans Spe Salvi- me semble d’une grande actualité pour rejoindre les aspirations de nos contemporains déboussolés par un monde compliqué et dur, à l’avenir incertain. Il me semble ainsi que par ce jubilé, François nous a donné un bon outil pour l’annonce de la Bonne Nouvelle.
5. « Culture du déchet »
Cette expression qui est propre au Pape François (elle a été introduite dans Evangelii gaudium (2013) avant d’être précisée et affinée dans Laudato Si’ puis dans Fratelli tutti) a une filiation évidente avec la pensée de Jean-Paul II sur la « culture de mort » de la société contemporaine. Mais en élargissant la notion à la Création, en inscrivant cette notion morale dans une cosmogonie précisée et dans le contexte de la société de consommation, François en donne une portée plus ample, une pertinence renouvelée pour comprendre notre société.
Avec ceci et sans doute bien d’autres choses, rendons grâce pour le bien apporté par François, et confions-le à la miséricorde de Dieu pour tous ses péchés. Prions pour le collège des cardinaux et pour celui qui sera élu pape bientôt.
Curé de Chaville
1. Benoît XVI avait fait le même travail, remarquable aussi, que de construire une pensée sociale systématique à partir de la notion de « charité » dans Caritas in veritate. Les deux textes, d’ailleurs, raisonnent bien entre eux.
2 « Je vois avec clarté que la chose dont a le plus besoin l’Église aujourd’hui, c’est la capacité de soigner les blessures et de réchauffer le cœur des fidèles, la proximité, la convivialité. Je vois l’Église comme un hôpital de campagne après une bataille. Il est inutile de demander à un blessé grave s’il a du cholestérol ou si son taux de sucre est trop haut ! Nous devons soigner les blessures. Ensuite nous pourrons aborder le reste. »
François interviewé par Antonio Spadaro, in La Civiltà catolica, 2013.